Notes marginales à l’article de Mimmo Peruffo in FoMRHI Quaterly n°143, juillet 2018 : théorie et pratique du commettage des cordages

Charles Besnainou charles.besnainou@upmc.fr

Scientia non est humor in exitium iecur (Rabelais)

Le titre [1] de l’article de Mimmo Péruffo voudrait nous convaincre que son argumentation démontre sans réplique possible de la justesse de ses thèses sur l’utilisation du boyau densifié dans la fabrication des cordes anciennes destinées aux basses des instruments à cordes comme le luth. Cette affirmation péremptoire souffre de plusieurs faiblesses que ces notes marginales vont tenter d’éclairer.

Cette réponse est motivée du fait que dans son article Mimmo Péruffo polémique avec moi en m’attribuant des faits totalement grotesques et improbables sans la moindre référence à ce que j’ai pu écrire ici ou là, ce qui signifient qu’il ne connaît probablement pas les mécanismes physiques de la construction des cordages. Je profiterais de cette réponse pour critiquer sa démarche et pour faire connaître mes résultats.

Introduction

Pour commencer, jamais un scientifique n’oserait dire que son hypothèse est la SEULE possible ! Hubble lorsqu’il mesura effectivement la précession des galaxies, démontrant par là même la théorie de l’expansion de l’Univers de Lemaître, n’utilisa tout au long de son article historique que le conditionnel… laissant ouvert le débat [2]. On sait aujourd’hui que cette théorie a trouvé de nombreuses applications en astrophysique qui prouve sa solidité.

Mimmo Péruffo ignore sans doute qu’un seul contre-exemple suffit à détruire son hypothèse comme non fondée. C’est que nous nous efforcerons à montrer avec une multitude exemples. Mais avant de continuer, il faut clairement définir quelques mots essentiels pour la suite.

HYPOTHESE : Explication provisoire d’une observation, d’un phénomène ou d’un problème scientifique demandant à être testé.

INDICE : Trace ou signe apparent et probable qu’une chose existe ou s’est produite et que l’interprète associe à la possibilité d’une reconstitution.

EVIDENCE : C’est ce qui s’impose à l’esprit comme une vérité, ou une réalité, sans qu’il soit besoin d’aucune preuve ou justification.

PREUVE : Fait, témoignage, raisonnement susceptible d’établir de manière irréfutable la vérité ou la réalité de quelque chose.

FAIT : Connaissance, information ou tout élément objectif de la réalité, de ce qui est arrivé, de ce qui est accomplie

L’hypothèse de Mimmo Peruffo (c’est-à-dire qu’en densifiant le boyau, on peut fabriquer des cordes de diamètre moindre, donc plus souple ; de telles cordes graves pourraient être meilleures que celles de boyau naturel) [3] est une proposition très intéressante basée sur les lois de la physique. Et cela pourrait être une alternative à de soi-disant reconstitutions historiques. En tant que processus moderne, cette idée constitue une contribution précieuse au renouveau du luth et aux instruments modernes ; en tant que redécouverte d’un processus ancien oublié, elle doit être argumentée à l’aide d’indices, d’évidence pour devenir des preuves.

Dès son introduction Mimmo Péruffo affirme qu’il existe pour les grosses cordes « seulement deux hypothèses… » l’une recourt « à la construction des cordages… » et l’autre « que la densité du boyau était augmentée par un traitement avec des composés métalliques… ». Si nous convenons que la seconde est bien une hypothèse, alors il faut la tester par des documents historiques ; en revanche sa première « hypothèse » n’en est pas une, puisqu’une iconographie largement connue atteste à minima que les cordes graves possédaient bien une texture évoquant celle des câbles de marine. Cette iconographie constitue en soi des faits suggérant plusieurs indices que nous allons présenter

Première partie

1- L’iconographie

Cette iconographie s’étend aussi bien de l’antiquité à nos jours qu’à l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Il y a trois types d’iconographies les gravures, les peintures, les sculptures et les photographies. Chacune d’entre elles doivent être analysées avec des critères différents. Tout d’abord, il faut être averti que toutes les représentations, quelles qu’elles soient, sont tributaires de la volonté de l’artiste de faire émerger un sens ; lorsqu’il signe un détail, il le fait avec l’intention d’être compris. A contrario, l’absence d’un détail ne signifie pas la preuve de son absence en général, l’artiste a choisi, peut-être, une simplification pour mettre l’accent ailleurs. Les peintres ne sont pas des photographes. Dans la plupart des cas, leurs représentations ne peuvent que suggérer quelque chose. Nous avons parfois trouvé des détails trop pertinents pour que l’artiste ne les veuille pas expressément. J’ai maintenant beaucoup d’entre eux à présenter.

  1. Les gravures

La gravure est un art de la concision, elle vise à rendre la représentation pertinente en éliminant les redondances et sans omettre d’informations importantes, en voici quelques exemples.

1.1.1- Dans un manuscrit latin du 11ème siècle représentant le « Roi David et ses musiciens » le graveur a dessiné les cordes de la lyre du roi et de celles la harpe du musicien avec une texture qui évoque manifestement des boucles, comme des cheveux frisés. Cet indice signifie, à mon sens, une volonté du graveur de représenter ce qu’il voyait. C’est-à-dire des cordes aux torsades bien visibles et sans doute non polies.

Figure 1 : Le roi David avec ses musiciens, Bibliothèque Nationale, Paris MS latin 11550,
Saint Germain-des-Prés, vers 1070

1.1.2- Dans Syntagma Muscike (1620), Michael Praetorius montre les cordes basses de la viole avec une structure de cordes ressemblant à des câbles marins (?). De plus, cette vue nous donne un détail de la fixation des cordes au cordier. Il semble que les cordes aient été séparées en deux pour les fixer au cordier.

Figure 2 : Michael Praetorius, Syngtagma Musicae (1620), Viola di Gamba, planche XX

1.1.3- dans l’Harmonie Universelle (1636), Marin Mersenne représente les cordes graves du violoncelle et de la viole avec une structure de cordes commises. On peut aussi remarquer que le sens des torsades pour la viole sont opposés à celle du cello, ce n’est probablement pas un hasard… Cela aurait-il un lien avec la tenue de l’archet différente : pour le cello, l’archet est tenu par-dessus et donc l’accent est marqué par tiré, alors que pour la viole l’archet est tenu par en dessous et donc l’accent est marqué par le poussé ?

Figure 3a : Marin Mersenne, Harmonie Universelle (1636), p. 184
Figure 3b : Marin Mersenne, Harmonie Universelle (1636), p. 192

1.2- Les peintures

Les peintures exigent une lecture plus exigeante parce qu’il ne faut pas confondre un détail avec des coups de pinceaux qui sont la marque de la touche propre de l’artiste.

1.2.1 La fuite en Égypte, Le Caravage. Une inspection minutieuse révèle la fascination particulière de l’artiste pour les détails complexes et excentriques : un bout de cordes tortillée suspendue aux chevilles du violon.

Figure 4 : Le Caravage (1571-1610), La fuite en Égypte, musée Doria-Pamphili, Rome, Italie.

1.2.2 Jeune homme jouant du luth, Le Caravage. Le détail ici présenté réclame une attention particulière : la basse du sixième chœur ne montre pas à proprement parler de structure, mais l’expérience de l’auteur a été attirée par le diamètre de celle-ci brusquement plus grosse que les autres cordes, comme si, du fait de sa structure bosselée, elle a une densité inférieure et nécessite un diamètre plus grand pour atteindre le ton.

Figure 5a&b : Le Caravage (1571-1610), Jeune homme jouant du luth, Musée de l’Hermitage, Saint-Pertersbourg

1.2.3 Cupidon Triomphant parmi des Emblèmes de Guerre et d’Art, de Paul de Vos & Willeboits Bossxhaert.

Cette peinture montre un nombre remarquable d’objets, tous très finement exécutés. Il faut une vue très rapprochée pour découvrir que l’artiste s’est donné la peine de peindre les deux cordes graves du violoncelle avec une finesse de détails proprement stupéfiante révélant une structure manifeste de cordage.

Figure 6a : Paul de Vos (1591-1678) & Thomas Willeboits Booschaert (1613-1654) : Cupidon triomphant. (collection privée)
Figure 6b : Détail amplifié (anamorphose linéaire transversale). Notez le crochet au cordier

1.2.4 Nature morte avec plusieurs instruments de musique, Evaristo Baschenis.

Ici encore, il faut un œil exercé pour découvrir la précision de la touche de l’artiste donnant à voir des bouts de cordes du cello, elles aussi comme des cordages.

Figure 7 a&b : Evaristo Baschenis (1617-1677), Nature morte avec plusieurs instruments de musique, catalogue d’exposition, édition SKIRA (collection particulière)

1.2.5  Basse de viole, cahier de musique et épée, Michel Boyer.

Ce tableau a ceci de remarquable qu’au moins les quatre cordes graves de la viole ont une apparence de tortillage serré que l’on ne peut pas manquer de remarquer.

Figure 8 a&b : Michel Boyer (1668-1724),Basse, cahier de musique et épée (1693), musée du Louvres (réserves), Paris. [photos, Ch. Besnainou]

1.2.6 El Majo de la Guitarra, Lorenzo Tiépolo.

Ce tableau est intéressant parce qu’il concerne la guitare et il montre qu’au milieu du 18ème siècle la pratique des cordes tortillées était encore vivace, et pas seulement pour les cordes graves confirmant la citation suivante : plus d’un siècle après l’invention des cordes filées [4] on trouve ce commentaire dans « L’Encyclopédie Méthodique » [5] : « …les bourdons filés ont l’inconvénient de dominer trop sur les autres cordes, et d’en faire perdre le son final par la durée du leur, principalement dans les batteries de guitares ». Ce qui signifie que les seules cordes acceptables pour la guitare de cette époque étaient toutes de boyau.

Figure 9 a&b : Lorenzo Tiepolo (1736-1776), El Majo de la Guitarra, Palacio Real, Madrid
Figure 10 a&b : Anonymous, Haydn jouant en quatuor, in « La légende du violon », Yehudi Menuhin, édition Flammarion, Paris 1997.

1.2.7 Haydn jouant en quatuor, Anonymous, in « La légende du violon », Yehudi Menuhin.

La sureté de la main du peintre est attestée par l’ensemble de la composition du tableau. Ainsi, si le DO du cello est marqué de ponctuations, il ne s’agit sûrement pas d’un tremblement de la main, mais bien d’un détail que l’artiste veut suggérer.

  1. Les photographies

1.3.1 Pluri-arc, Pierre Sallé, Musique du Gabon

La pratique des cordes végétales à deux brins tortillés est très courante dans l’instrumentarium musical africain. Ce pluri-arc en est un exemple typique.

Figure 11 : Pierre Sallé, Deux études sur la musique du Gabon, Travaux et documents de l’ORSTOM n° 85, Paris 1978.

On rencontre encore aujourd’hui nombre d’instruments africain comme la cora avec de telles cordes comme le montre l’exemple suivant.

1.3.2 Sur cette photo on remarque immédiatement la structure en hélice. Le pas large de l’hélice suggère que pour être fonctionnelle elle doive être retordue sur l’instrument pour obtenir une hélice bien serrée en rapport avec une tension suffisante sur l’instrument.

Figure 12 a&b : Cordes d’une cora photographiées par l’auteur au musée des Arts Premiers du quai Branly à Paris.

1.3.3 Les cordes bien connues du koto

Figure 13 a&b : Koto coréen, musée de la Musique, Paris.

1.3.4 Cette photo des cordes d’un sarengy népalais est à comparer avec la peinture (fig. 6b) des cordes du cello de Paul de Vos, Cupidon triomphant, la ressemblance est étonnante. Ce qui suggère la permanence des techniques de tortillage des cordes musicales dans le temps et l’espace !

Figure 14 : Un sarengy népalais, photo Jean Galodé (1978) in La légende du violon, Yéhudi Ménuhin.
  1. Les sculptures

Et les derniers exemples mais non des moindres, des sculptures de l’Antiquité. Plus que pour la gravure, le geste du sculpteur va à l’essentiel. Les deux sculptures suivantes vieilles de deux milles ans sont aussi précises qu’un dessin à la plume.

1.4.1 Un bas-relief de l’antiquité étrusque en marbre avec un musicien et sa lyre, la structure des cordes est manifestement celle de cordages.

Figure 15 : Urne étrusque II-I siècle avant JC, Détail des cordes d’une cithare, Musée Étrusque « Garnacci », Volterra, Italie.

1.4.2 On remarque ici les sens de commettages opposés alternativement des cordes.

Figure 16 : Coupe en argent gravée, Empire Romain, 1er siècle après JC, trésor de Berthouville, Normandie, Cabinet des médailles, Bibliothèque Nationale de France.

Ces documents ne constituent pas des preuves irréfutables en soit, mais des indices à ne pas négliger. Néanmoins, les figures précédentes attestent que la fabrication des cordes graves (à tout le moins) au 16ème et 17ème siècle avaient des traits communs à la texture ou à la structure de cordes de marine. Ces images sont des faits qui demandent d’être approfondi plus avant. Cela veut-il dire qu’elles étaient ainsi faites ? Nous montrerons par la suite qu’il n’en ait rien, car au préalable nous étudierons toutes les techniques de fabrication des cordes commises. Et découvrirons une technique complètement oubliée et qui remonte à plus haute antiquité…

Deuxième Partie

  1. -La théorie de Mimmo Peruffo

J’utilise ici le mot théorie dans le sens où c’est plus une hypothèse basée sur des informations ou des connaissances limitées, en un mot une conjecture, non comme un ensemble d’énoncés ou de principes conçus pour expliquer un ensemble de faits ou de phénomènes, en particulier s’ils ont été testés à plusieurs reprises ou largement accepté. Ainsi, à partir du diamètre des trous, il infère => que le diamètre des cordes est nécessairement au plus de 85% (pourquoi pas 95%, mystère) de celui des trous, puis il infère => que pour obtenir la bonne hauteur et la bonne tension avec de tels diamètres il faille un matériau plus dense sinon les cordes sont sous-tendues, injouables et fausses (inharmoniques), puis il infère => donc qu’il faille densifier le boyau, sans en donner la moindre recette, pour achever sa démonstration. Au passage, il tente d’égratigner les tenants des cordes structurées qui ressemblent à des cordages.

2.1-La question des trous au chevalet des luths

Dans un article aussi important qui prétend prouver définitivement la justesse de sa théorie (« la seule hypothèse possible … »), on peut s’étonner que Mimmo Peruffo nous fournisse si peu de détails sur ses mesures. Nulle part le moindre histogramme de ses mesures en relation avec le nombre de chœurs, de la date de fabrication des instruments ou de la longueur des diapasons. Les seuls éléments qu’il fournit nous apprennent qu’environ 50% (!) de ses mesures ont été éliminé, sans donner le moindre critère. N’y a-t-il pas ici un biais de confirmation qui en privilégiant uniquement certaines données vise à approuver son hypothèse de départ ?

Pourquoi ne serait-il pas possible d’attacher une corde d’un diamètre plus grand que le trou ? Il suffit, par exemple, fendre en deux brins la corde tordue (polie ou bosselée), puis nouer un brin passant par le trou –dont le diamètre correspond au trou– avec l’autre brin, comme en témoignent de nombreuses sources iconographiques, pour luths et violes. Pourtant, une fois encore l’iconographie nous apporte des éléments qui ne peuvent pas être négligés sous peine de passer complètement à côté de l’essentiel.

Figure 17a : Rutilio Manetti (1571-1639), Triomphe del amore (Siena,1624), National Gallerie, Dublin.

Dans un tableau, richement composé de plusieurs instruments de musique, Rutilio Manetti (Triomphe del amore, Sienna, 1624) nous offre une vue rapprochée du chevalet d’un luth avec la fixation des cordes. On peut immédiatement apprécier le diamètre des cordes du grave à l’aigu, à savoir une grosse basse qui comparée avec la chanterelle peut bien mesurer entre 2 ou 3 mm pour un œil averti. Mais le plus intéressant est de remarquer que le brin qui sort du trou du chevalet est beaucoup plus fin que la corde elle-même. Si le peintre a représenté effectivement ce qu’il a vu, alors la conclusion est que la corde a été dépiautée (défaite) en deux éléments pour permettre à un brin de pénétrer dans le trou tandis que l’autre passe par l’extérieur pour faire le nœud. Ainsi, le mystère du diamètre des trous au chevalet d’un luth serait levé.

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Figure 17b : Détail du brin sortant du trou du chevalet, beaucoup plus fin que le diamètre de la grosse corde grave

Cette simple observation et le fait que l’on puisse facilement reproduire aujourd’hui encore ce mode de fixation avec des cordes de boyau est de nature à complètement invalider la théorie des trous de Mimmo Peruffo. Le fait que dans son article Mimmo Péruffo ait publié cette vue sans se rendre compte qu’il avait devant lui la réponse à son hypothèse du diamètre des trous constitue un biais cognitif flagrant qui en dit long sur son aveuglement pour « prouver » ses théories [6][48].

2.2 La question du diamètre maximum des cordes graves

En effet, pourquoi dire que les cordes basses du luth avaient nécessairement un diamètre inférieur à 1,3 mm (1.3 mm = 1.6 x 85%). Alors que l’une des sources les plus fiables du 17ème siècle dit le contraire ! Marin Mersenne, secrétaire de l’Europe savante de son temps et dont les résultats scientifiques forcent encore aujourd’hui l’admiration, donne dans l’Harmonie Universelle (1636) au deuxième livre (pages 7 à 72), la relation entre diamètre, hauteur et longueur de la corde. À la page 51, il donne même les diamètres des cordes en boyau qu’il a mesurées sur le luth ; la onzième basse DO a un diamètre d’une ligne, ce qui correspond à environ 2,5 millimètres (oui, en boyau …), ce qui confirme l’évaluation que nous avons faite avec la peinture de Manetti. En suivant son calcul de proportion, on obtient une chanterelle de 0,37 mm, ce qui est très facile à obtenir. Malheureusement, Mersenne, généralement si précis dans ses observations, ne donne aucune indication sur la longueur de la corde. J’ai donc fait un calcul avec un intervalle de longueur compris entre 72 et 67 cm et j’ai trouvé une tension d’environ 4,5 kg avec un diapason d’accord de 415 Hz, avec 398 Hz, j’ai trouvé 3, 5 kg. Ce qui permet une bonne jouabilité. Je ferais plutôt confiance aux mesures de Mersenne ; tout son traité est basé sur des mesures, rejetant les spéculations [7].

2.3 La question des traces laissées par les cordes dans les trous

Il faut maintenant examiner l’hypothèse de la densification du boyau par des charges métalliques pour aller jusqu’au bout du raisonnement de Mimmo Peruffo. En effet, cette hypothèse peut être sérieusement envisagée pour partir à la recherche de documents historiques qui la confirmeraient. Mais, confrontés à la question raisonnable : « Les trous peuvent-ils contenir des traces de métaux ou d’oxydes ajoutés à la corde ? », Mimmo Peruffo refuse de sauter le Rubicon en décidant « …de ne pas prélever d’échantillons », craignant probablement « …de se tromper de conclusions », ce qui contredirait son hypothèse. C’est dommage !

Jusqu’à présent, en ayant écrit une quantité d’article sur le sujet, Mimmo Péruffo n’a pas trouvé de documents historiques. L’absence de tels documents historiques ne signifie pas qu’il n’en existe pas et que son hypothèse est définitivement close. Le fait qu’il ait lui-même réussi à densifier des boyaux avec lesquels il a réalisé des cordes prouve sans doute possible que cela est plausible ; pourquoi cela n’aurait-il pas été possible pour les anciens ? Pour la recherche scientifique absence de réponse à une question ne retire pas l’intérêt de cette question, on doit simplement trouver un autre point de vue et surtout ne pas hésiter à faire des prélèvements lorsqu’ils s’imposent.

2.4 La suggestion de la couleur comme preuve de la densification des boyaux

Mimmo Peruffo suggère que la couleur des cordes pourrait indiquer des traitements variés, parmi lesquels la densification des boyaux. Il pense même que les cordes aux teintes brunes ou noires seraient le signe le plus probant des résultats de densification. Le boyau ainsi que les peaux animales étant essentiellement constitués de collagène sont susceptibles d’être tannées. Ce tannage, a pour effet d’en augmenter la résistance mécanique. Les boyaux modernes tannés qui se rencontrent comme sutures chirurgicales ont bien une couleur plus ou moins brune. Ce traitement permet une résorption plus lente que les sutures non tannées, mais il n’y a pas de changement significatif de leurs densités. Dans l’article publié (FoMRHI #143 pp 3-47), Mimmo Péruffo reconnaît honnêtement : «il est vrai qu’à l’heure actuelle il n’y a pas de preuves directes liées à un processus de densification du boyau (la recette d’un fabricant de cordes ; un document qui mentionnait que le boyau des basses a été traité en quelque sorte pour le rendre plus dense, par exemple) ». Donc, en l’état actuel de nos connaissances, la pratique de la densification des boyaux reste une hypothèse.

2.5 A propos de l’état de surface des grosses basses de luth

Peruffo Mimmo affirme : « Ce n’est qu’aujourd’hui que l’on trouve des cordes  » bosselées  » qualifiées d’historiques. » faisant fi de tous les exemples iconographiques (cf. §1) qui attestent de structures ressemblant à des cordages de marine. Il veut sans doute gentiment se moquer de moi en m’attribuant la confection de cordes directement (!) sur le chevalet du luth par le musicien lui-même… [8]

Malheureusement sa conviction que les cordes graves étaient toutes lisses provient d’une définition restrictive du mot smooth qui a de nombreuses acceptions variant selon le contexte. Le sens commun au 17ème siècle est celui d’une étoffe souple et douce sous les doigts.

On rencontre dans Musick Monument de Thomas Mace [9] des dizaines d’occurrences de ce mot en tant qu’adjectif, d’adverbe et de verbe. ; avec le sens d’une surface plane [MM p.59] ; l’action de nettoyer proprement un collage [MM p.59] ; ainsi que l’action de maroufler l’extrémité d’une corde pour l’assouplir et ainsi pour faciliter le nœud des frettes [MM p.69] ; de conduire un archet sans secousses [MM p. 248] ; de faire sonner son luth avec tendresse [MM p.130] ; de faire glisser une frette sur le manche [MM p.50] ; de décrire une rose proprement découpée [MM p. 49] ; la technique de jeu que Mace appelle  « close play » permet une rapidité sans faille [MM p. 85] ; de trouver une corde souple et sans « coque » (sans nœuds) [MM p.67].

Pour répondre à la question s’il existait de grosses cordes graves lisses ou bosselées, il faut au préalable examiner les diverses acceptions du mot « knots » que l’on rencontre souvent associées dans la description de ces Venice-Catlins. Dans le contexte d’une description visuelle il ne s’agit sûrement pas de vrais nœuds mais d’une forme spirale qui s’enroule le long de l’axe de la corde. On est aidé en cela en distinguant deux sortes de boucles spirales : les longues et les courtes : « Venice-Catlins are made up, in short double Knots » et « The Lyon String, is made up in a double Knot ; but as Long as the Minikin » [MM p. 66]

Cela signifie que visuellement deux spirales (double Knots) s’enroulent l’une autour de l’autre avec un pas large (long) pour les Lyons ou avec un pas serré (short) pour les Venice-Catlins.

On peut aussi comprendre que les Minikins ne sont pas constituées par deux éléments mais bien avec un écheveau de boyau simplement tortillé : « Minikins are made up always, in long-thin-small Knots » [MM p. 66], ce qui est la façon habituelle de confectionner des cordes de boyau.

Les Lyons seraient constituées de deux éléments tels des Minikins humides et encore ductiles qui sont lissées au cours du séchage pour donner une surface finale lisse (voir fig.42).

Les Venice-Catlins, elles seraient constituées de deux éléments déjà fortement tortillés en phase finale de séchage qui donnent une surface bosselée (voir fig.42). On verra au § 4.1.3 pourquoi ces cordes se distinguent radicalement des cordages de marine. En effet lorsque T. Mace les caractérise mécaniquement par « the Smoothness, and Stiffness to the Finger », il parle de souplesse (flexibilité) et de raideur (élasticité). Qui sont les propriétés mécaniques essentielles des cordes musicale (voir § 5.1.3).

2.6 Mimmo Peruffo invente un nouveau paradigme scientifique

Il déclare : « Il y a des indices plutôt indirects et cela peut donner une vision claire de la façon dont les choses ont probablement été faites à l’époque ». Probablement que le mot clair est exagéré … Il poursuit « …une preuve indirecte qui est devenue une preuve directe par le biais de calculs, comme certains des arguments présentés ici, je crois ». Pour lui un indice ou une évidence indirecte se transforme en une évidence directe du simple fait que les calculs qui la soutiennent sont corrects. Il ne suffit pas qu’une hypothèse soit logique pour qu’elle soit vraie. Mimmo Péruffo dans sa démarche confond la logique interne de sa démonstration avec la preuve de la démonstration. Il en appelle à LeVerrier et à Tombaugh qui ont parfaitement conjecturé l’existence des planètes Uranus et Pluton avant leurs observations effectives ; tant qu’elles n’avaient pas été observé par leurs collègues astronomes, leur existence relevait d’hypothèses. La logique interne de leurs démonstrations reposait sur des calculs mathématiques fort compliqués qui ne pouvaient pas être contestés par leurs pairs. Et c’est grâce à leur calcul que les télescopes ont pu être pointés dans la bonne direction. Cela ne veut pas dire que ce soit toujours le cas. Par exemple aujourd’hui, la « théorie des cordes de l’Univers » qui a déjà été gratifiée par des centaines d’articles dans des revues scientifiques à comité de lecture –c’est-à-dire vérifiés par des referees intransigeants sur la rigueur des calculs– n’a reçu aucune confirmation par des faits cosmologiques que des astrophysiciens auraient pu observer. Ces théories restent encore des hypothèses. La quête continue. [10]

Ce que Mimmo Peruffo nous offre n’est pas le résultat d’un calcul ou d’une quelconque «expérience de pensée» [11], mais un amalgame de deux éléments non liés entre eux. Il écrit : « Je voudrais souligner la présence très intéressante de barils de colle de peau dans certains ateliers de cordiers du 17ème siècle » [et] « Les conteneurs avec du colorant rouge peuvent aussi être mentionnés » et il ajoute « nous ne pouvons pas savoir si cela a été utilisé pour la teinture ou pour charger le boyau. ». Néanmoins il argue : « je peux dire que la colle n’a jamais été utilisée dans l’art traditionnel, ni même dans l’art moderne des fabricants de [cordes] boyaux ; au contraire, il est absolument nécessaire, pour de nombreuses raisons, de fabriquer des cordes en boyau chargé » CQFD ! Quel est l’atelier d’artisan qui ne possède pas un pot de colle de peau ?

2.7 La démonstration de Mimmo Peruffo peut être résumée de la façon suivante

La prémisse : les cordes de boyau de basse étaient constituées de boyau chargé, car elles permettent un diamètre de trou plus petit dans les chevalets.

Le fait : les trous mesurés dans les chevalets historiques sont trop petits pour accepter un diamètre plus grand –due à un boyau sans charge– signifie que seul un diamètre de corde plus petit convient à ces trous.

La conclusion : les cordes en boyau de basse étaient en boyau chargé, ce qui a pour effet d’en réduire le diamètre.

Ce qui est un raisonnement circulaire typique.

Le raisonnement circulaire a souvent la forme suivante : « A est vrai parce que B est vrai ; B est vrai parce que A est vrai. ». La circularité peut être difficile à détecter si elle implique une longue chaîne de propositions. » ; voir : https://en.wikipedia.org/wiki/Circular_reasoning

C’est exactement ainsi que Mimmo Peruffo procède, il accumule un nombre considérable de documents, de citations, d’iconographies, de réflexions personnelles [12] sans liens logiques pour aboutir à ce qu’il souhaite. Comme les Sophistes de la Grèce antique, il préfère poser des questions qui sont formulées de manière qu’une réponse affirmative soutenant son hypothèse soit donnée. Il recherche les conséquences que l’on observerait si leur hypothèse était vraie, plutôt que ce qui se passerait si elle était fausse. Heureusement, pour nous maintenant, qu’Aristote ait inventé la « LOGIQUE » contre les Sophistes qui utilisaient le raisonnement circulaire dans des buts politique pour embrouiller l’esprit des personnes non averties.

Finalement, n’ayant pas trouvé de sources historiques à sa théorie du boyau densifié, Mimmo Peruffo pour faire bonne mesure ajoute : « En réalité, il n’existe aucune information directe [13] des luthiers des 16e et 17e siècles concernant leur art en général ; Ce n’est pas seulement vrai pour la technologie des cordes basses. Par exemple, nous n’avons même pas de description claire et directe de la manière dont les cordes ont été fabriqués par les fabricants de cordes ; il ne nous reste plus que la preuve de la présence des ‘orditori’ dans certains ateliers des 16ème et 17ème de fabricants de cordes. ». Ainsi, il renvoie dos à dos ses deux hypothèses de départ. Après de longs développements où il dit une chose et son contraire, il décrète les résultats du « Championnat Mondial des Cordes : Boyau Chargé vs Cordes Commises = 0-0 ».

Troisième partie 

3 Les résultats de notre recherche historique et technique

Il est temps de passer aux choses sérieuses, nous allons montrer que des sources existent en tant que « informations directes » et qu’elles sont parfaitement intelligibles pour qui veut bien se donner la peine de les analyser. Dans ce qui suit, je me suis efforcé d’être aussi explicite et concis que possible, avec des exemples que tous les lecteurs peuvent reproduire très facilement avec un minimum d’outils.

Peut-on se poser la question suivante : est-il possible de confectionner des cordes avec du boyau pur qui satisfassent aux critères d’une bonne corde musicale, du point de vue de la tension, du rendement acoustique et de la jouabilité ?

3.1 Petite histoire d’un inventeur qui découvre que son invention était connue depuis d’antiquité

Je joue du luth depuis bientôt 60 ans et comme tous les pionniers j’ai essuyé pas mal de déconvenues dans mon apprentissage d’autodidacte. Dès le commencement, la chose qui m’était le plus pénible était la durée de son des chœurs graves qui bourdonnaient comme des aéroplanes dans mes oreilles, surtout à cause des grosses cordes filées de guitare très tendues sur des instruments anhistoriques. J’ignorais bien sûr qu’au 17ème siècle les luths étaient exclusivement montés de cordes de boyau. Comme beaucoup de mes amis luthistes en herbe, j’ai tenté d’amortir l’intensité et la durée des bourdons libres avec des artifices comme des bouts de caoutchouc au sillet, avec plus ou moins de bonheur…

Comment des cordes graves en boyau peuvent-elles répondre aux exigences d’équilibre sonore avec les cordes du dessus ? C’est-à-dire dont la durée ne couvre pas la durée des cordes aigues, tout en étant harmoniques.

3.1.1 Du tortillage au commettage des cordages de marine

Au milieu des années 1970, Djilla Abott et Ephraïm Segermann [14] apportèrent quelques réponses en faisant remarquer que l’on pouvait grandement améliorer les qualités sonores des cordes de boyau en les retordant (humidifiées) suffisamment, malheureusement ce procédé avait ses limites et dès que le diamètre de la corde devenait important les bénéfices n’était pas au rendez-vous. Et ils proposaient donc pour les grosses cordes graves une structure en cordage de marine qui améliorerait la souplesse des gros bourdons et ainsi les qualités sonores des cordes basses.

Fort de ces informations, je me lançais dans l’expérimentation systématique du commettage des cordages. Aidé en cela par un bouquin de mécanique [15] déniché dans la bibliothèque de mon laboratoire, dans lequel je découvris les arcanes de la stabilité structurelle des cordages. Après avoir dilapidé, en pure perte, une fortune en cordes de boyau sans être vraiment satisfait des résultats, je me suis tourné vers une expérimentation moins coûteuse en utilisant des fils de nylon pour la pêche. Ce choix, sacrilège, va se révéler extrêmement heureux par la suite.

Pendant plusieurs années, j’ai fait des milliers de cordages à 2, 3, 4, 5, 6 brins en enregistrant systématiquement les paramètres du commettage, nombres de tours de tortillement, la force appliquée sur l’émerillon, la force de résistance appliquée sur le toupin… Je restais toujours très insatisfait. [vidéo n°1, machine CB]

Vidéo n°1 : Machine à commettre des cordages

3.1.2 De la transgression comme source d’invention disruptive

Puis, par une nuit fiévreuse de février 1982, désabusé par mes médiocres résultats je fis, par dépit, une chose strictement interdite par la théorie et la pratique du commettage. Au lieu de retordre le cordage en sens inverse de celui des brins, conformément au principe de stabilité structurelle, j’ai forcé le commettage des brins dans le même sens, ce qui est une configuration instable ! Bien sûr le cordage résistait à cette opération contre nature, plus je retordais dans le mauvais sens plus il fallait de force, jusqu’à ce qui devait advenir arriva : la destruction de la machine de tests et un entrelacs de fils et de contrepoids.

Le miracle dans cet écheveau indescriptible fut que je découvris sur une portion de quelques centimètres les trois brins parfaitement enlacés hélicoïdalement et qui plus est dans une configuration stable. En un seul coup d’œil je compris ce que voyais devant moi ! Par la transgression des règles établies du commettage s’ouvrait ainsi une autre perspective dans la quête de la flexibilité des cordes musicales

Ayant été, dans ma jeunesse, un passionné de modèles réduits d’avions motorisés avec des lanières de caoutchouc tortillées, je savais qu’au-delà d’un certain nombre de tours de tortillage, il se forme des boucles que l’on appelle des nœuds qui progressent régulièrement le long des élastiques ainsi contraints [16]. En relâchant cette contrainte, les lanières de caoutchouc se détordent en entrainant l’hélice en rotation qui propulse la maquette d’avion dans les airs. Cette transition s’appelle la phase solénoïde ou super enroulement [17].

Était-il possible d’obtenir la même organisation en boucles (nœuds) avec un simple fil de nylon tortillé de façon ad hoc ? Eh bien oui, c’est même assez facile à faire, juste le bon doigté à acquérir… (vidéo n°2, spiranyl de base). Mais la chose la plus inattendue est qu’après le relâchement de la contrainte de striction cette structure hélicoïdale persiste. Je venais d’inventer la corde spiralée mono brin qui combine à la fois élasticité et flexibilité. Immédiatement installé sur mon luth, ses qualités sonores m’ont tout de suite convenu.

Vidéo n°2 Principe de confection d’un ressort hélicoïdal en nylon par striction rotative

L’analyse spectrographique (fig.18) des sons produits par une corde moderne filés et par la corde « spiralée » de même hauteur montre : 1) la durée d’extinction de la corde spiralée est beaucoup plus courte que celle de la corde moderne filée, 2) le spectre des harmoniques de la corde spiralée est plus riche et se situe plus haut dans le spectre que celui de la corde filée dont une bonne part de l’énergie est concentrée dans le fondamental. Pour la même hauteur de note, la perception de la corde spiralée est plus dense et plus claire tout en étant plus courte que la corde filée qui a un son criard due à la présence excessive de l’harmonique 2. Il apparut immédiatement que les qualités sonores de cette corde étaient dues essentiellement à son élasticité, prémisse d’une souplesse remarquable même tendue.

Figure 18 : Analyse spectrographique [42] d’une corde filée et d’une corde spiralée de même hauteur (février 1982)

Cependant, chaque adhérent de la CUMA doit contacter sa mairie et lui faire passer un courrier à destination des riverains dans lequel il propose de prévenir ces derniers

Vidéo n°3 : corde spiralée à deux brins

3.1.2.1 Optimisation des fréquences des ondes transversale et longitudinale

Il y a essentiellement trois types de vibrations qui parcourt une corde : la vibration transversale, la vibration longitudinale qui concerne les ondes de compression dans le matériau de la corde et la vibration de torsion sous l’action d’un archet ou d’un doigt. Chacune de ces vibrations possède une valeur qui dépend de la longueur, de la masse volumique, des modules de flexion et de traction du matériau, de la tension, ainsi que du moment d’inertie. Il existe un ensemble de valeurs de ces paramètres pour lesquels les fréquences sont dans des rapports harmoniques : alors le son résultant est plus « plein », plus « dense », en un mot le plus satisfaisant pour une oreille musicale…

On peut obtenir cet enroulement hélicoïdal avec tous matériaux plus ou moins ductiles. Les polymères (nylon, polyester, PVDF, etc.) sont particulièrement adaptés à la contrainte de striction. D’autant que le point de démarrage de la boucle étant le siège d’une élévation significative de la température suivie brusquement d’un refroidissement garde la forme hélicoïdale naturellement. On peut ainsi mettre en forme des cordes de boyau, moyennant un doigté subtil précédé de leur humidification dans un bain d’alcool ad hoc à 72 degrés de concentration ; la pression osmotique assure la bonne quantité d’eau dans le boyau qui a alors la bonne ductilité. Puis, il n’y a plus qu’à faire lentement sécher la corde spiralée pour qu’elle garde sa forme. De la même façon, on peut obtenir l’enroulement avec une cordelette de coton correctement humidifiée. On peut aussi appliquer le même procédé à un fil métallique pourvu que l’on dispose d’un four à induction ponctuel pour ramollir le métal, mais cela n’est pas à la portée de tout le monde… dans sa cuisine.

Très fier de ma découverte je déposais un brevet [18] de ma trouvaille. Deux de mes étudiants prirent comme sujet de mémoire l’étude de ce procédé (figure 19) pour l’obtention de leur diplôme. C’est ainsi que nous avons mis au point une machine pouvant produire en continu du tortillon et construire une raquette de tennis ultra performante. A cette époque Internet n’existait pas et je ne me suis pas préoccupais plus avant si cette découverte avait une histoire.

Trop content d’avoir fini par trouver satisfaction dans les sons produits par mon luth [19].  Quelques-uns de mes amis adoptèrent avec enthousiasme ces nouvelles cordes, tandis que les puristes érudits du luth les rejetèrent comme non historiques. Puis mon activité de chercheur m’entraina ailleurs.

Figure 19 : Fonda & Jaoui, Étude et fabrication de ressorts de traction à spires jointives en matières plastiques, PFE, ENSAM, Paris (1984)

3.1.3 Et la lumière jaillie !

Vingt années plus tard, l’école de lutherie de Puurs en Belgique me demanda de faire une conférence sur les propriétés mécaniques et acoustiques des cordes musicales [20]. C’est alors que je me suis connecté à Internet, comme il se doit depuis que le web existe, pour compléter ma bibliographie. Quelle ne fût pas ma surprise de découvrir des dizaines de références sur les questions que posaient les cordes des instruments du 16ème et 17ème siècle. L’une d’entre elles me laissa complètement abasourdi ! John Downing avait découvert un texte d’Agostino Ramelli, datant de 1588, qui mentionnait énigmatiquement les grosses cordes de gros violons ! [21] Grâce à Internet une numérisation de l’ouvrage de Ramelli permet de consulter son livre [22]. Ramelli décrit ainsi ce cordage : « … traversant par le milieu d’iceux : une grosse corde & double, faicte en la façon des grosses cordes de basses-contres des gros violons qui soit bien retorte et tendue ». On comprend que l’on est ici en présence de quelques indices qui s’ils sont intelligibles, donnerait la clef de la construction des cordes musicales au 16ème siècle.

La gravure de la planche CXC montre, dans le fouillis d’un champ de bataille, un trébuchet dont les cordages sont finement dessinés. Du premier coup d’œil, grâce à mon expérience du commettage des cordages, je compris que l’organisation des fibres du cordage désignée par Ramelli avait une orientation inhabituelle (fig. 20a&b) pour qui est familiers avec les cordages de marines.

Figure 20 a&b : Extrait de Ramelli en a) corde classique, en b) le cordage façon corde violon

La résolution de la numérisation ne permettant d’être absolument affirmatif. J’ai eu la chance de consulter directement cet ouvrage du 16ème siècle conservé à Paris dans la bibliothèque du Musée des Arts et Métiers.

Figure 21 : Trébuchet selon Ramelli (photo Ch. Besnainou)

La figure 21 désigne une toute petite surface de quelques centimètres noyée dans un in quarto de plus de 50 cm ; le graveur a dessiné très soigneusement ce qu’il voyait (ou ce que Ramelli lui demandait de représenter). La finesse des traces de pointe sèche, sans aucun trait inutile, atteste de l’importance inestimable de ce document. Le cordage de Ramelli anticipait de plusieurs siècles ma soi-disant invention

Comparez les différentes directions des composants du cordage de Ramelli avec ma réplique en coton, ils coïncident en tous points. Ce qui importe est la structure, comme celle d’un ressort hélicoïdal, qui confère à ce cordage son hyper élasticité. La nature du matériau ne vient qu’ajouter qu’un petit plus à ses propriétés étonnantes, dans l’ordre croissant de la ténacité combinée à l’élasticité : le chanvre, la soie, le boyau, le nerf de bœuf, les tendons, etc.

La figure 22 compare la gravure avec le cordage que je savais faire depuis vingt ans !

Figure 22 : Détails et comparaison des directions des fibres et des torons avec la réplique de l’auteur

Ramelli explique de manière alambiquée que ce cordage sert à freiner et amortir la chute du balancier de la machine, qui sans cela serait détruite par la violence du choc. En effet, la figure 23 montre les qualités d’élasticité extrêmes d’un tel cordage fabriqué par mes soins ; il est facile d’obtenir un allongement de plus de 40%. [23]

Figure 23 : Hyper-élasticité du cordage de Ramelli, sans déformation plastiques permanente.

NOTA BENE 1 : La réplique de la fig. 22 n’est bien sûr pas une grosse corde de gros violon, mais une réplique du cordage de Ramelli ; pour obtenir une telle structure il faut comprendre et maîtriser les techniques à la base du SUPER ENROULEMENT qui sont celles utilisées pour confectionner des grosses cordes musicales.

Le fait que j’avais redécouvert, par hasard mais aussi par nécessité perceptive et musicale, un procédé ancien qui avait un lien avec les cordes musicales et les machines de guerre comme les catapultes, les balistes et les trébuchets signifiait que cette façon de tortiller des fils avait une histoire très ancienne et me poussa donc à en rechercher des traces historiques.

Quatrième partie

4  Recherche dans la documentation historique

On trouve dans Vitruve (1er siècle avant J.C.) une description particulièrement intéressante qui associe la musique et l’art des machines de guerre. Il recommande de bien tendre les deux bras d’une baliste de manière égale pour que le projectile soit poussé bien droit ; le servant du tir doit bien s’assurer que les boyaux bandés (tendus) rendent le même son –la même hauteur–  lorsqu’ils sont percutés, avant de décocher [24]. C’est la plus ancienne citation qui indique que les cordages retordus des balistes étaient susceptibles de sonner comme des cordes d’instrument de musique. Ni Vitruve, ni Ramelli ne donnent la moindre explication sur la façon d’obtenir de tels cordages, ce qui peut probablement signifier que cela était évident pour leurs lecteurs et que cela était parfaitement connu [25] [26]

Ainsi, cette sculpture, inattendue dans un château du sud de la France, que je ne pouvais pas montrer, au paragraphe sur l’iconographie, avant d’avoir établi qu’un lien caché existait entre les instruments de musique à cordes et les instruments de guerre (fig. 24). Il s’agit d’un archer en train de bander son arc. Le lien caché réside dans l’hyper élasticité (voir fig.23) du cordage (supposé) de Ramelli dont la force élastique vient en complément de la force élastique des deux branches de l’arc (idem pour la baliste) ce qui augmente sa puissance de jet [27]. Pour une corde musicale, l’élasticité est l’élément déterminant qui garantisse aux sons d’êtres harmoniques.

Figure 24 : Archet, Musée de l’archerie, Château de Saint Iziare, France

4.1   La première monographie scientifique sur les cordages de marine

La source la plus importante sur la fabrication des cordes qui  embrasse toutes les techniques connues de la fabrication de cordages au 18ème siècle et qui donne une réponse à la confection des cordes musicales est l’ouvrage absolument incontournable d’Henri Louis Duhamel du Monceau, membre depuis 1738 de l’Académie royale des sciences, dont il est élu trois fois président. Lorsqu’il est nommé inspecteur général de la marine en 1739, il s’attèle à la qualification et la normalisation de la fabrication des cordages (manœuvres) de marine comme d’un domaine d’importance stratégique [28] pour la France. Son but, homogénéiser, et aussi améliorer la production des cordages de qualité fabriqués dans les arsenaux de Brest, Rochefort et Toulon. Pour cet objectif il va mettre en place des procédures scientifiques mettant en concurrence plusieurs équipes comprenant chacune : un officier superviseur, un officier chargé de collecter systématiquement les données et un groupe de servants qui réalisent pratiquement les instructions qui leurs sont fournies pour réaliser des expériences quantifiées sur le comportement mécanique des cordages.

Dans son livre de 544 pages, avec nombres de planches gravées, il décrit toutes les étapes qui conduisent à la réalisation de cordages de haute qualité : de la culture du chanvre, des étapes de sa transformation jusqu’à l’obtention de tous les cordages imaginables, chacun pour une destination précise. Il serait trop long et fastidieux de toutes les décrire ici. Je m’en tiendrais aux principes de base.

4.1.1  Pratique et théorie du commettage des cordages

La confection de cordes (grosses ou non) avec plusieurs brins de tailles inférieures est attestée depuis la préhistoire. La figure 25 montre les étapes de la réalisation d’un cordage tel que les chasseurs cueilleurs la pratiquait, il y a des milliers d’années. On observe que lorsque deux éléments s’enroulent autour l’un de l’autre dans le sens Z, il faut les tordre séparément dans le sens S pour maintenir la cohésion de l’ensemble (réciproquement Z se transforme en S et S se transforme en Z). Avec ces données on a pratiquement tout dit sur la stabilité structurelle des cordages qu’ils soient construits avec un nombre quelconque de torons ; un cordage devenant un toron pour un cordage de taille supérieur, etc.

Figure 25 : Principe du commettage des cordes

Dans ces conditions il y a stabilité structurelle de l’ensemble, c’est-à-dire que la cordelette ne se déroulera pas. C’est pourquoi, la cordelière de couturière (fig26-4) est l’archétype de tous les cordages [vidéo n°4]

Vidéo n°4 : La cordelière de couturière

4.1.2  Du tortillage

Toutes les techniques reposent sur le tortillement de fils. La figure 26 montre les diverses formes qui peuvent apparaître lorsque l’on applique un moment de torsion sur un fil et qu’en même temps on y applique une force axiale plus ou moins bien contrôlée, évidemment lorsque l’on relâche le moment de torsion, le fil se déroule. À figure 26-2, on voit apparaître une coque –boucle– qui est un défaut que les marins connaissent bien lorsqu’un cordage est malmené. Malheureusement, Birbent [29] n’a pas poursuivi le moment de torsion pour atteindre le stade du super enroulement (fig. 26-5) qui lui aurait permis de renouer avec un cordage oublié [22]

Figure 26 : Différentes configuration prisent par un fil en striction sous contrainte axiale ; la figure 26-5 a été rajouté par l’auteur, Birebent ne l’avait pas repéré…

Ainsi, lorsque plusieurs torons préalablement retordus, sont associés (co-mis ensemble => commettage) ils se détordent en s’enroulant l’un autour de l’autre en sens inverse. La figure 27 donne en son principe les éléments d’une machine : les crochets de torsion, le toupin dont la résistance, plus ou moins grande, détermine le pas du cordage, plus ou moins serré, et l’émerillon, accroché à un poids, qui sert à accompagner le mouvement d’enroulement des torons l’un sur l’autre (voir vidéo n° 1).

Figure 27 : Schéma de principe d’une machine à commettre les cordages  

4.1.3 :  Vous avez dit : « garochoir » ?

Puis au détour d’une page de son Traité, Duhamel du Monceau mentionne un cordage qui n’obéit pas aux principes d’usage, puisqu’il s’agit d’un cordage dont le commettage des torons s’effectue dans le même sens de torsion que celui des éléments séparés, bien qu’il ait insisté quelques pages auparavant sur l’instabilité de ce processus [§ XIV, p.196] ! Il le nomme : cordage en garochoir ou main torse [p.197].L’ouvrage contient plusieurs dizaines d’expériences qui font appel au cordage en garochoir [30]. En fait, il y a deux types de cordages qui ne respectent pas les principes décrits en 4.1.1 & fig.27.

Le premier est connu comme la ficelle d’emballage courante ou comme les câbles métalliques selon le procédés Lang [31] (figures n°28a&b). Le schéma de principe (fig. 29) et la vidéo n°5 montrent qu’à chaque tour de câble commis, les brins non commis acquièrent un tour de torsion qui doit être relâché par les émerillons pour conserver la stabilité du câble, sinon ils accumuleraient une torsion qui tendrait à dérouler le câble ou le casser…

Figure 28 : a) Ficelle commune ; b) Câble de téléphérique à torons compactés par laminage
Figure 29 :  Schéma de principe du commettage LANG

Dans ces conditions il y a stabilité structurelle de la ficelle et du câble de téléphérique. Le commettage Lang est surtout utilisé dans la confection des câbles métalliques. Ce procédé était connu des anciens. On en trouve la preuve dans Mersenne [HU, livre second, p.99] : « la plus grosse chorde du 3, & 4 rang [du cistre] est tortillée, & faites d’une chorde redoublée & pliée en, deux, afin de faire des sons plus remplis, & nourris. » (fig. 30a). Tout comme Manetti qui en donne une image saisissante sur le cistre (fig. 30b) qui compose le tableau Triomphe del Amor (fig. 17a)

Figure 30 : a) Corde cistre Mersenne ; b) Corde cistre Manetti Triomphe del Amor
Vidéo n° 5 : Machine Lang

Le second cordage en garochoir est beaucoup moins évident à comprendre. Duhamel écrit page 197 : « Les cordages qu’on nomme de main torse, & à Rochefort [32] des garochoirs, … ont leurs torons tortillez dans le même sens que les fils ». Il précise plus loin : « Les fils, en se roulant les uns sur les autres, acquièrent un certain degré de tension qui bande leurs fibres à [comme des] ressort, lesquels par leurs réactions tendent à se redresser… »et page 199 « on doit regarder la main torse comme étant faites avec un fil extrêmement tortillé ». La vidéo n°6 montre comment procéder à partir d’une cordelière de couturière. Lorsque l’on force le commettage dans le même sens de torsion que le fil, c’est le toupin, par la résistance qu’il oppose, qui redresse les boucles, c’est le principe du garochoir [étymologie : garochoir a pour origine le verbe « garroter » qui signifie tordre fortement un lien pour en augmenter le serrage] ; noter qu’à mi-chemin le fils a encore assez de torsion pour se commettre normalement. Remarquer comment les boucles se redressent en se commettant exactement comme décrit par Duhamel. Dans les conditions de l’expérience, on obtient la stabilité structurelle : c’est le changement de sens à mi-parcours, entre le garochoir et la cordelière qui bloque le segment en garochoir (fig. 31) sinon il se déroule.

Vidéo n°6 : Comment passer du garochoir à la cordelière.

De la cordelière de couturière au garochoir

Figure 31 : a) le fil qui servira à confectionner en b) une cordelière, c’est-à-dire un commettage direct, ou bien en c) un commettage « en garochoir » c’est-à-direinverse, prolongé d’une cordelière.
  • Le cordage de Ramelli est construit à partir de deux éléments en garochoir commis en sens inverse de la torsion des deux éléments donc dans une configuration stable

Il est temps de revenir au cordage de Ramelli. Il y a plusieurs façons de construire son cordage. Le cordage en garochoir n’est jamais utilisé seul. Parce qu’il est extrêmement tortillé, il a tendance à se détordre, on va donc l’utiliser comme l’élément « toron » d’un cordage commis normalement (c’est-à-dire en sens inverse de sa torsion), alors l’ensemble est stable. Le grelin ainsi obtenu possède la propriété remarquable d’élasticité (voir fig. 23) dont on a besoin pour freiner la chute du balancier de la catapulte ou bien pour amarrer un bateau. Ce qui aurait pu être une utilisation qui a été oubliée (perdue) avec la désaffection de la marine à voile, mais dont le besoin est toujours actuel pour la navigation de plaisance [33].

La vidéo n° 7 donne à voir une méthode que j’ai adopté pour y parvenir ; il n’y a pas de raison de penser qu’elle n’était pas connue des anciens lorsque que l’on imagine les millions de tortillons qui ont été torturés depuis des siècles ! Lorsque l’on compare les diverses directions des constituants du cordage, celles-ci correspondent exactement avec celles de la gravure figure 22 !   CQFD ?

Vidéo 7 : Le cordage de Ramelli en pratique
Figure 32 : Résumé les différents types de commettages qui montre la direction des fibres pour les identifier, ainsi que leurs propriétés mécaniques .

4.3 Et comment interpréter les descriptions que Skippon rapporte dans son journal de voyage ?

Dans le journal de voyage de Skippon [34], jeune aristocrate anglais parcourant l’Europe au 17ème siècle, on trouve l’une des rares descriptions de l’atelier d’un cordier de Padoue en Italie.

Figure 33 : Schéma de tortillage du boyau rapporté par Skippon

4.3.1 Tentative de prolongement de ce que Skippon n’a pas vu… ou n’a pas été autoriser à voir

Il est probable que Skippon n’ait pas assisté à toutes les opérations de confection de grosses cordes graves. En ne révélant pas tout le processus de fabrications, les artisans se protègent souvent ainsi pour conserver leurs secrets.

En se souvenant de la vidéo n°6, on peut imaginer le processus suivant qui reprend exactement des mêmes éléments rapportés par Skippon en les complétant. La vidéo n°8 est parfaitement explicite, surtout en comparant le retour en « i » de l’écheveau de boyau de la figure 33 avec le « a » de la figure 34 !

Vidéo 8 : Proposition qui complète la description de Skippon pour réaliser de grosses cordes

Pour être mécaniquement parfait, il faut tenir compte du fait que lorsque, dans un premier temps, les deux torons précédemment précontraints par striction (I) sont commis ensemble, dans un second temps (II), les torons non encore commis prennent à chaque tour un supplément de torsion, il est donc nécessaire de libérer ce supplément par un mouvement opposé des crochets b et c (fig.34).

Figure 34 : Procédé alternatif à partir de Skippon… En deux étapes : (I) précontrainte ; (II) commettage.

Cet exemple permet de comprendre qu’entre le commettage Lang et le garochoir il y a simplement une précontrainte de torsion qui est mise à profit pour « redresser les fibres comme des ressorts » (Duhamel du Monceau).

Cinquième partie

5 Des qualités sonores des cordes musicale « en garochoir » : étude acoustique

Avoir démontré que l’on est capable de reconstituer le cordage de Ramelli ne signifie pas que les grosses cordes pour luth ou basse de viole aient été ainsi fabriquées (vidéo n°7). Il faut maintenant prouver que les cordes que je pense avoir redécouvertes (partie 2) en utilisant judicieusement la torsion peuvent répondre aux qualités de son et de jouabilité dont les musiciens ont besoin.

5.1 Prérequis a la qualification des propriété sonores des cordes musicales

L’aire culturelle européenne a privilégié les sons harmoniques pour composer sa musique, à la différence d’autres aires culturelles qui ont su créer des merveilles musicales avec des sons inharmoniques [36], comme ceux des percussions (arc musical, balafon, gamelan, gong, cloche, musique concrète…) [37]. La nécessité des sons harmoniques vient du choix des échelles musicales qui sont construite pour faire des accords ; chaque son étant en correspondance avec les composantes intimes de sons associés. Les sept notes qui constituent la gamme des musiques occidentales sont toutes les transpositions des composantes harmoniques d’une note fondamentale, c’est-à-dire dont les fréquences sont multiples entiers de celle de la vibration fondamentale de fréquence 1. Il n’aura échappé à personne que les composantes 4, 5, 6 et 7 engendrent l’accord parfait majeur (i.e. do, mi, sol et avec la septième sib). Ainsi toute la musique occidentale fonctionne avec des accords sans battements (nous ne rentrerons pas ici dans le charme des tempéraments). La raison essentielle est que les sons entretenus –vents, archet– produisent toujours des sons harmoniques par la nécessité des lois de la physique. Mais, les sons non entretenus pincés ou frappés eux sont inharmoniques à cause des mêmes lois de la physique [38].

5.2 Le rôle de la raideur de flexion sur les modes propres d’une corde

Pour pouvoir se marier avec des sons harmoniques, les sons non entretenus doivent avoir une composition spectrale quasi harmonique, la plus proche possible de la série harmonique. La propriété physique qui détermine la quasi harmonicité d’une corde pincée (ou frappée) est sa raideur, plus précisément le rayon de courbure (fig. 35) qu’elle peut prendre lorsque des ondes vibratoires se propagent le long de la corde. Chaque composante est caractérisée par des nœuds et des ventres –les modes propres– qui divisent la corde en 1, 2, 3, 4, 5… Ainsi, le rayon de courbure minimum détermine la plus petite déformation possible de la corde, donc la fréquence maximale possible de la corde, au-delà il n’y a plus de composantes.

Figure 35 : La corde réelle est arrondie au lieu de pincement, limitant ainsi la taille de la déformation maximale admissible donc la fréquence maximum du nième mode propre

Mais en même temps « la raideur constitue pour chaque partiel une force de rappel, comme toute force de rappel, elle augmente la fréquence d’oscillation [32, p.71] » ; dit autrement la raideur a pour effet de raccourcir la distance entre les nœuds (fig. 36) ce qui a pour effet de décaler les fréquences des modes propres de la corde qui s’éloignent de la série harmonique : la note sonne faux. Même si l’oreille est tolérante, à partir d’un certain degré d’inharmonicité les accords consonants ne sont plus acceptables.

Figure 36 : Décalage des fréquences des modes propres avec la raideur : corde idéale ; réelle
Lorsque le rapport de la longueur au diamètre de la corde est très grand, le rayon de courbure devient presque négligeable. Par exemple, une corde de clavecin italien de 40/100 de mm diamètre et de 2 mètres de longueur produit des harmoniques jusqu’à 18000 Hz sans difficulté, le rayon de courbure au point de pincement n’excède pas 0,2 mm . Une corde de même diamètre sur un cistre de 52 cm de diapason est hors de l’intonation juste, sauf si une texturation ad hoc n’améliore la flexibilité (voir vidéo 5) comme Mersenne le préconise [39].

5.3 Comment augmenter la flexibilité d’une corde ?

Prenons le temps de voir ce que la physique peut nous apprendre. Pour un fil de matériau homogène, le module de flexion est déduit du module de traction (module de Young) [40]. Le défi consiste à augmenter la flexibilité d’une corde de gros diamètre indépendamment du module de Young du matériau la constituant…

Une première solution est donnée par la figure n°37 montrant une corde de boyau de 10 mm de diamètre qui a été retrouvé dans l’étui d’une contrebasse de violon du 17ème siècle [Musée de la musique de Paris]. On observe que les lanières de boyau ne sont pas collées à cœur ce qui permet aux enroulements hélicoïdaux de boyau de glisser les uns par rapport aux autres et ainsi d’augmenter la flexibilité et de diminuer le rayon de courbure, donc une meilleure harmonicité de la corde.

Figure 37 : La mise en forme hélicoïdale des lanières devient ainsi une structure déformable qui confère élasticité et souplesse à la corde. Le cordage de marine est une mise en forme hélicoïdale particulière ; Musée de la musique, Paris. (photo Ch. Besnainou)

On peut concevoir une seconde solution en remarquant qu’un ressort, maintenu en extension, permet simultanément des déformations longitudinales et transversales (fig. n° 38) avec un rayon de courbure le plus petit possible.

Figure 38 : Un ressort combine simultanément élasticité et flexibilité
 

5.3.1 Propriétés mécanique de la corde musicale en « garochoir »

C’est ainsi que la corde en garochoir combine ces deux propriétés de flexibilité transversale et d’élasticité longitudinale[41]. Pour le démontrer nous avons réalisé le dispositif expérimental suivant (fig. 39).

  1. Nous avons filé des fibres, de couleurs différentes, pour confectionner un toron initial
  2. avec lequel un cordage commis dans le sens direct a été réalisé
  3. puis avec ce même toron un cordage en garochoir
Figure 39 : Le même toron initial a servi à confectionner deux cordages aux propriétés différentes, le commettage normal et le commettage en garochoir.

On remarque immédiatement que les constituants du toron initial dans les deux cordages présentent des directions perpendiculaires reconnaissables au premier coup d’œil (fig. 32).

Au passage, si l’on compare les doigts crispés dus aux contractures de la maladie de Dupuytren (fig. 40) on saisit immédiatement pourquoi le garochoir s’appelle aussi, en français, main torse, c’est-à-dire main tordue (déformée, crispée).

Figure 40 : Le mot français « main torse » signifie par métonymie la similitude de forme entre une corde en garochoir et les doigts crispés en raison de la contracture de la maladie de Dupuytren.

Les vidéos 9(a-b-c-d) suivantes montrent le toron initial tendu entre deux points de fixations, ainsi qu’une corde classique et une en garochoir ; avec la pince on cherche à les déformer axialement. Ni le toron, ni la corde ne possèdent d’élasticité longitudinale, alors que le garochoir peut se déformer sur 1 cm facilement, comme un ressort.

Vidéo 9a toroninitial
Vidéo 9b commettage normal
Vidéo 9c en garochoir 
Vidéo 9d garochoir à deux brins de coton

C’est cette propriété d’élasticité longitudinale qui fait que le commettage en garochoir permet un rayon de courbure de l’ordre de grandeur de diamètre (fig. 41) garantissant une harmonicité parfaite du son produit. De plus, en ajustant la torsion de la corde avant de la passer dans la cheville, on peut ainsi régler sa raideur/élasticité sur l’instrument et donc ses qualités sonores (voir 3.1.2.1).

Figure 41 : Le rayon de courbure de cette basse de luth en garochoir est de l’ordre de grandeur du diamètre de la corde (2,9 mm)

5.4 Qualités sonores de la corde musicale « en garochoir » : étude acoustique

Pour être complète cette étude se termine par l’analyse acoustique comparée des qualités sonores de plusieurs cordes de boyau :

1-une corde actuelle du commerce faite de boyau dont les bandes de collagène sont collées à cœur, sans aucune flexibilité

2-une corde conçue par nos soins selon le commettage Lang. De mon point de vu (§ 2.5) se sont ces cordes que T. Mace appelle Lyons. (fig. 42)

3-et une corde de boyau en garochoir à deux brins. De mon point de vu (§ 2.5) se sont ces cordes que T. Mace & J. Dowland appellent Venice-Catlins. (fig. 42)

Montées sur un même sonomètre (fig. 42), ces cordes ont la même masse par unité de longueur, même longueur vibrante (60 cm), même hauteur (70 Hz), même tension (2,3 Kg) et sont pincée de la même façon

Figure 42 : Une corde de boyau selon Lang, en haut ; une corde de boyau en garochoir, en bas : montées sur un sonomètre

Les spectrogrammes [42] de la figure 43 permettent d’analyser finement les sons associés à chacune des cordes de l’expérience

Figure 43 : Comparaison des sons émis par trois cordes de boyau avec l’analyse sonagraphique, en abscisse le temps ; en ordonnée la fréquence
Enregistrement de la figure 43

Les pi sont les composantes partielles des sons. Les trois sons ont le même fondamental accordé sur 70 Hz (do#1). On peut remarquer que la fréquence de la sixième composante du son3 est exactement 6 fois celle du fondamental, ce qui signifie que les composantes partielles du son3 sont bien des harmoniques de la note. Tandis que pour les sons 1 et 2 les fréquences des composantes partielles s’éloignent de la série harmonique, ce qui est confirmé par l’écoute (audio 1). Ces sons sont pauvres, sonnent faux et n’ont pas de sustain. Tandis que l’écoute du son3 donne à entendre un son confortable dans la durée et l’harmonie.

Ces exemples montrent à quel point la raideur est déterminante aussi bien du point de vue du spectre –la richesse harmonique– que de la durée –le sustain– sur les qualités musicales des cordes. Ils permettent de comprendre comment la raideur joue directement sur la durée d’extinction des vibrations. La qualité du sustain est directement reliée à la fusion des harmoniques entre-elles.

À cause de la raideur, le rayon de courbure, réduisant la longueur de vibration effective des modes propres de la corde, entraîne une vitesse de propagation plus grande des composantes de hautes fréquences que celles des basses fréquences (la dispersion) [38].

Ainsi, l’onde du mode n se propage plus vite que celle du mode n-1 et finit par la rattraper, alors elles interfèrent, ce qui a pour effet qu’elles s’annulent plus vite…Et ainsi pour n-1 avec n-2, puis n-3… Ici est l’explication du temps de décroissance écourté des cordes inharmoniques. Cet amortissement dynamique se rajoute donc à l’amortissement structurel thermique dû aux frottements des molécules entre elles lors de la propagation de l’ondes de déformation.

Les exemples suivants montrent comment l’inharmonicité inhérente à la raideur, même très faible, affecte des cordes de petits diamètres et de masse volumique différente (fig.44). A l’écoute des sons ainsi produits, même une oreille non musicienne perçoit immédiatement les différences de timbre dus à l’inharmonicité (audio 2).

Figure 44 : Comparaison entre deux cordes de même hauteur = 220 hz qui ne diffèrent que par leurs raideurs :
1- Nylon,             longueur = 60 cm ; F = 1.1 mm,  densité = 1
2- FluoroCarbon, longueur = 60 cm ; F = 0.8 mm, densité = 1.8
Enregistrement de la figure 44

Les deux cordes qui ont la même masse par unité de longueur, ainsi que des modules de traction presque identique (~2500 N/mm2) ne diffèrent que par leurs diamètres. La corde la plus fine présente donc un rayon de courbure plus petit au point de pincement. Le son résultant est plus harmonique et dure plus longtemps d’environ d’un seconde, ce qui est considérable pour l’oreille.

5.5 Discussion sur les mérites respectifs de la masse volumique et de la raideur/élasticité

Les paragraphes précédents montrent qu’une bonne corde doit être avant tout harmonique quel que soit le matériau avec lequel elle est confectionnée. Si l’on compare la corde en PVDF de 0,8 mm de diamètre avec une corde en acier de  0,38 mm de diamètre, toutes choses égales par ailleurs (masse linéique, longueur, fréquence et tension) alors un calcul qualitatif simple [43] montre que le rayon de courbure au point de pincement est beaucoup plus grand pour l’acier que pour le PVDF parce que le module d’Young de l’acier est environ 1000 fois supérieur à celui du PVDF ce qui veut dire que la corde en PVDF est plus souple et donc plus harmonique que celle en acier.

Donc, l’augmentation de la densité du matériau et corrélativement la diminution du diamètre de la corde ne sont pas nécessairement bénéfiques à l’harmonicité de la corde. On a toujours intérêt à privilégier la souplesse.

Au-delà d’un certain diamètre, quel que soit le matériau, le rayon de courbure de flexion affecte l’harmonicité et la corde perd ses qualités musicales. Nous avons vu (§5.3 fig 38) qu’une façon d’augmenter la souplesse était de créer une texture géométrique ad hoc. C’est la proposition de Mersenne (§ 4.1.3) de tortillage des cordes de cistres. Comparons le module de Young d’une corde mono filament en laiton de 50/100 mm avec une corde en laiton tortillée de même masse par unité de longueur. On obtient une telle corde texturée en commettant ensemble deux fils de 31/100 mm selon le procédé LANG (fig 29).

Sous une tension de 10 Kg (100 N), une corde de laiton, l= 100 cm, d=50/100 mm, s’allonge de 0,6 mm ; tandis que la corde tortillée de masse linéique équivalente s’allonge de 2,5 mm (vidéo n°9). Ce qui veut dire que le module de Young de la corde tortillée est 150 fois plus faible que celui du mono filament [44] en laiton. C’est ainsi que les cordes tortillées font « … des sons plus remplis, & nourris » Mersenne dixit.

Vidéo n°10. Allongement remarquable d’une corde tortillée de 2 x 0,31 mm en laiton.

NOTA BENE 2 : Dans les cas les plus courants, le commettage Lang est requis pour façonner des câbles multibrins (>>2) qui s’enroulent ensemble en hélice avec un pas extrêmement large, c’est ce qui assure leur stabilité mais leur élasticité longitudinale est réduite à celle des torons. Mais dans le cas des cordes à 2 fils tortillés « à la Mersenne », les fils métalliques forment les boucles extrêmement serrées et le pas des hélices est de l’ordre de grandeur du diamètre des fils, d’où une élasticité structurelle (deux ressorts imbriqués l’un dans l’autre) étonnante de ces cordes. Ces cordes trouvent avantageusement leur place dans le cordage des cistre, bandora, orpharion, chitarrone, clavicorde, épinette et même forte-piano.

NOTA BENE 3 : Lorsqu’un câble commis normalement (§ 4.1.1 fig. 25) est soumis à une force de traction les boucles des torons ont tendance à se resserrer sur le centre, ce qui a pour effet d’augmenter les frottements, donc les amortissements qui ruinent les qualités musicales de telles cordes. Mais les cordes en garochoir présentent un comportement complètement différent, une traction sur une corde monobrin ou double brin a pour effet d’élargir le pas des spires (comme un ressort, fig.35) sans les resserrer sur le centre ; c’est pourquoi on a avantage à ajuster la précontrainte de torsion de la corde sur l’instrument avant de la nouer sur la cheville en fonction de ses goûts, de son jeu et des possibilités de l’instrument.

5.6 Rôle de l’amortissements dans les qualités sonores

Il n’y a pas de relation entre la masse volumique (densité) et le module d’Young. Il existe des matériaux qui ont des densités proches sans pour autant avoir des module d’Young proches. Par exemple :  le cuivre et le nickel de densité = 8900 kg/m3 et Ycu = 128.109 N/m2 Yni = 207.109 N/m2 ; on peut en déduire que le cuivre ayant un module d’Young plus petit, autorisant un rayon de courbure plus petit comparativement à une même corde en nickel, donnera une corde plus harmonique.

Mais dans les qualités sonores d’une corde intervient un autre facteur très important : la durée d’extinction de la vibration après le transitoire d’attaque, c’est l’amortissement. Cet amortissement de la propagation d’une onde au cœur du matériau a plusieurs origines. Les frottements visqueux des vibrations de la corde avec l’air, ces pertes sont prépondérantes pour les composantes basses fréquences du spectre ; la viscoélasticité propre du matériau agit principalement sur les composantes hautes fréquences ; les pertes thermiques due aux zones comprimées et étirées affectent le domaine intermédiaire entre basses et hautes fréquences des composantes du spectre de vibration de la corde [45].

Figure 45 : Comparaison des valeurs moyennes de Q obtenues sur des fils de composition et de métallurgie différentes [37].

C’est pourquoi il y a de telles différences entre une corde en cuivre et une corde en acier. La figure 45 représente la moyenne des coefficients de qualité (inverse de l’amortissement) de chaque partiels de vibrations d’une corde en fonction de la fréquence pour trois matériaux, le cuivre, le fer et l’acier. Ces courbes donnent l’importance relative des composantes dans la perception du timbre. Une corde en acier est beaucoup plus claire (brillante), même agressive, qu’une corde en fer tandis que le timbre d’une corde en cuivre est perçu comme moins clair, plus rond, plus doux, avec plus de fondamental.

5.7 L’inharmonicité engendrée par l’amortissement

Dans tous les bons livres de physique on trouve les équations des oscillateurs qui montrent que la fréquence propre d’un mode dépend non seulement de la masse et de la raideur mais aussi de l’amortissement (fig. 46). Malheureusement aucun ne donne d’exemple concret, on en est réduit à « croire » en la puissance du calcul mathématique.

Figure 46 : La fréquence de la résonance d’un oscillateur diminue avec l’amortissement

Or les cordes en boyau densifié produites par Peruffo Mimmo en offrent un exemple remarquable qui mériterait de figurer dans tous les livres de physique. Les sonagrammes de la figure 47 montrent que tous les partiels de la corde ont des fréquences plus basses que la série harmonique (lignes rouges équidistantes). L’amortissement est une force d’inertie (c-à-d une masse) ajoutée qui a pour effet de baisser la fréquence du mode.

Figure 47 : Deux cordes en boyau densifié de Peruffo Mimmo, a) densité=2290 kg/m3 ; L=60 cm, d=1.25 mm, f=69Hz, T=2,8 Kg et b) densité=2650 kg/m3, L=60 cm, d=1,65 mm, f=54 Hz, T=2,9 Kg
Enregistrement de la figure 47

Cette force inertielle, qui confère une augmentation virtuelle de la masse en abaissant la fréquence modale, est différente de la force de rappel due à la raideur (§ 5.1), qui augmente le terme ressort du mode, ce qui a pour effet d’en augmenter la fréquence

Mais en analysant le sonagramme fig 47b) du son le plus grave, un œil exercé remarquera que les onze premiers partiels sont plus bas que la série harmonique, alors que les 14, 15 16ème partiels sont plus haut [46]. Cela veut dire que la force d’inertie dû à l’amortissement n’agit plus et que le décalage vers le haut est dû à la raideur. Les lois de la physique veillent… même pour des durées extrêmement brèves.

Ces cordes ne correspondent sûrement pas aux recommandations de John Dowland qui souhaitait que les basses de son luth ne soient pas doublées à l’octave [47] parce que ces sons (audio 3) sont courts, très sourds et sans sustain.

CONCLUSIONS

Le fil conducteur de cette recherche a été le tortillage. En reproduisant l’énigmatique cordage de Ramelli aussi bien dans l’organisation de ses fibres et de ses torons que dans ses qualités d’élasticité, nous avons montré que sous certaines conditions, au lieu de ruiner les qualités de la corde, la phase solénoïde (super-enroulée) –correctement utilisée– permettait l’obtention de cordages de très gros diamètres qui restaient remarquablement souples / élastiques, et donc propices à la justesse harmonique indispensable à un usage musical.

Sans être absolument affirmatif, il est envisageable que des artisans des 16è et 17è siècles rompus dans l’art du tortillage dans la confection de corde de boyau aient eu un jour l’expérience de la phase super-enroulée et qu’ils l’ont ensuite appliquée aux « grosses cordes de gros violons » et de luths ; qu’ils en aient gardé le secret est dans l’esprit de leur temps.

Ce que la phase solénoïde a de remarquable c’est qu’elle peut être appliqué à une grande variété de matériau (boyau, coton, polymères synthétiques, ADN… etc.) ; nous préférons monter aujourd’hui sur nos luths et violes ces cordes en polyester, indiscernable à l’oreille des cordes en boyau et combien moins sensible à l’humidité.

Nous avons pu aussi lever une ambiguïté de langage. Aussi bien Thomas Mace [9] que John Dowland décrivent ainsi leurs « catlines are double knots joyned together », ce qui, à notre sens, signifierait : « deux brins intriqués ensemble, à l’intérieur l’un de l’autre, en super-enroulement ». En effet, aujourd’hui encore, dans la communauté du modélisme, parlant des moteurs à caoutchoucs tortillés, les anglo-saxons utilisent la même formule : « double knots » ; donc « knot » doit être pris non dans le sens de « nœud » mais de « boucle ». [16]

Nous avons redécouvert qu’il avait existé depuis des temps immémoriaux une technique, aujourd’hui complètement oubliée, le commettage « en garochoir », dont la principale propriété était de conférer une élasticité phénoménale et ajustable aux cordages commis ; que l’énergie accumulée dans ce genre de ressorts pouvait servir aux armes de jets ; mais aussi comme suspension pour les carrosses à la place des lames en bois ou en  métal couramment utilisées [23] ; que les cordes musicales de très gros diamètres restaient justes (harmoniques) grâce à l’élasticité.

Nous avons montré que l’on pouvait accrocher de très grosses cordes dans les petits trous des chevalets de luth, il est vrai avec un peu d’imagination… Nous avons aussi montré que l’on pouvait être « un diplômé des universités » [Peruffo dixit…] pour savoir agrandir les trous au chevalet d’un luth pour y faire passer de grosses cordes [48] et vérifier que les gros nœuds ainsi obtenus étaient une grosse source d’amortissement des vibrations et d’inharmonicité. Pour clore ce dossier, nous avons montré que l’on pouvait confectionner soi-même les cordes de son luth dans sa cuisine (blague privée avec Mimmo) [49].

Last but not the least

Il n’est pas exclu qu’un jour, peut-être un érudit découvrira-t-il dans un vieux grimoire la piste qui conduira à la densification des boyaux comme un procédés historique, comme les autres ?

Cela ne veut pas dire pour autant que les recherches de Mimmo Peruffo ont été inutiles.

L’acharnement dont il a fait preuve dans la poursuite de son idée de densification des matériaux a fini par payer ! Son travail a eu quelques dommages collatéraux… c’est-à-dire des retombées significatives et utiles : il a inventé les fils de polymères chargés, qui de mon point de vu sont les meilleures cordes musicales jamais entendues, meilleures que le nylon, le polyester, le PVDF et même le pur boyau actuellement disponible pour les luths, les guitares (romantique et moderne) et même les instruments à archet. Il n’est pas douteux que ses polymères chargés s’imposeront comme les cordes du 21ème siècle.

C’est fini.

Charles Besnainou, retraité, ingénieur de recherche, Laboratoire d’Acoustique Musicale du CNRS ; professeur de la classe d’acoustique musicale au CNSM de Paris

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier mes anciens étudiants de la classe d’acoustique musicale au CNSM de Paris pour la réalisation des vidéos qui constituaient une partie des travaux pratiques de l’enseignement.

ANNEXE 1

Le point de vue du concertiste Christophe Coin, professeur de viole au CNSM de Paris

Figure 48 : Christophe Coin et sa viole de gambe de Henry Jay de 1626

 » Mon instrument a été fait à Londres en 1626 par facteur anglais Henry JAY, donc un fameux facteur de viole de gambe. Cet instrument est ce qu’on appelle  « the Consort Bass », c’est l’instrument le plus grand de la famille des violes avant le « violone », la contrebasse.

Il avait été transformé en violoncelle au 19ème siècle (régénéré comme dit son étiquette…) et on l’a remis dans son état le plus plausible originel grâce à un instrument de ce même facteur de la collection Kastler, légèrement plus petit de quatre centimètres, qui est une « DivisionViol » de 1621 ; et on a pu ainsi reconstituer le dessin originel et cela donne une longueur de corde vibrante de pratiquement 80 cm, ce qui est énorme ; c’est entre les doigtés de la viole et ceux de la contrebasse, ce qui évidemment pose des problèmes de tension de cordes.

On avait jusqu’à présent mis des cordes demi-filées, c’est-à-dire guipées avec un fil de laiton, ce qui n’était sûrement pas le cas à l’époque, car on sait que cela n’existait pas encore et donc le défi aujourd’hui c’est de mettre des cordes non-filées jusque dans le grave.

Ce que je trouve intéressant dans ce type de cordes, proposées par Charles Besnainou, c’est qu’on a énormément de son fondamental, et même, je dirais du « sous fondamental » de 16 pieds dans le son. De plus on a une résonance égale qui ne diminue pas trop vite, qui reste stable jusqu’à la fin, et lorsque l’on passe aux cordes non commises, on a une grande homogénéité.

C’est à mon avis un progrès et l’on peut commencer à trouver quelque chose de plausible, tout en restant historique, au plus près possible de quelque chose d’original.

La prise de son est agréable, c’est-à-dire que l’archet accroche très vite avec un minimum de colophane plus vite que sur les cordes précédentes et une mèche blanche. La rapidité d’émission n’est peut-être pas encore optimale. Je pense qu’il faut encore travailler sur les tensions et la courbure du chevalet et que l’on peut améliorer cela. Et donc, je crois que l’on est sur une bonne voie et que l’on peut abandonner les cordes demi-filées, pour ce type d’instrument d’avant la fin du 17ème siècle, parce que l’on sait qu’elles n’existaient pas encore, tout en ayant quelque chose de plausible musicalement, qui fonctionne et qui comme je le disais donne à la fois une gerbe harmonique riche vers l’aigu et en même temps beaucoup de basse fondamentale.« 

ANNEXE 2

Les cordes demi- filées

Ici je voudrais, moi aussi, soumettre quelques réflexions à la critique… à propos des cordes dites « demi filées ».

Au cours de mes recherches iconographiques, j’ai découvert deux tableaux avec des détails extraordinairement précis qui suggèrent manifestement des cordes filées et demi-filées. Ces deux tableaux représentent des violes de gambes à sept cordes du 18ème siècle.

Figure 49 : a) détails « Nature morte, gibier, fruits et viole de gambe » de François Desportes (1661-1743), Château de Giens, Musée International de la Chasse.
b)Le violiste « Jean-Baptiste Forqueray » par Jean-Martial Frédou, 1745 (photo Pierre « Mathias » Jaquier, collection privée)

Ces représentations (fig. 49 a&b) ont de ceci remarquable : les 7ème et 6ème corde des deux instruments sont manifestement des cordes filées avec un fin fil d’argent, de plus la 5ème de a) et surtout les 5ème et 4ème de b) ont des ponctuations beaucoup plus larges suggérant un fil d’argent de gros diamètre. Ce pourrait-il que ce soit l’indice d’un filage à pas large comme il se pratique couramment sur les cordes de clavicordes, épinettes et forte-pianos ?

De l’avis des musiciens actuels, les cordes demi-filées à l’imitation des cordes de clavicorde sont extrêmement fragiles, le frottement de l’archet les ruine en très peu de temps du fait du trait métallique en sur–épaisseur sur l’âme de boyau ; elles ne sont quasiment pas utilisées aujourd’hui.

Une comparaison entre les cordes de la viole de J-B Forqueray et celles du tableau de Boyer (§ 1.2.5) indiquent des techniques de fabrications très différentes (fig. n°50 a&b). Pour ma part, celles de Boyer sont faites avec le tortillage « en garochoir » tandis que celles de Frédou posent une question : comment un trait métallique si gros –de l’ordre de grandeur du diamètre du boyau sur lequel il est enroulé peut-il tenir et surtout ne pas gêner le jeu à l’archet et bien plus ne pas s’user rapidement ?

Figure 50 : Comparaison des textures des cordes peintes par Boyer (17ème siècle) et Frédou (18ème) ; alors que toutes les cordes chez Boyer sont en boyau retordu, celle de Frédou suppose des cordes filées et demi-filées.

C’est à cette occasion que j’ai fait le rapprochement entre les colonnes torses de l’autel de Saint Pierre de Rome et la désignation de main torse pour décrire le garochoir. En effet, lorsque l’on s’applique à bien étirer un garochoir en boyau au cours du séchage, on obtient une structure –stable– en tous points identiques à celle d’une colonne torse (fig. n°51 a&b).

Figure 51 a&b :a) Autel de Saint Pierre de Rome ; b) garochoir étiré

En se souvenant que lors de certains offices les colonnes torses sont décorées avec des guirlandes de fleurs enroulées dans le sillon tout devenait clair y compris la grosseur du trait de filage.

La corde en garochoir demi filées (fig. n°52) devenait parfaitement évidente à réaliser !

Figure 52 : La corde en garochoir demi filée avec un fil de cuivre vernis (l’argent trop cher) 

Pour les instruments à archet (viole de gambe, violoncelle baroque, cello da spalla) ces cordes sont d’une qualité sonore remarquable, d’une prise de son sous le crin excellente et comme le trait est incrusté dans le sillon du garochoir le fil métallique n’a pas tendance à glisser et à s’user.

Il y aurait encore beaucoup à écrire, mais il faut vraiment s’arrêter.

Je dédie ce travail à la mémoire de mes camarades d’établi :

Pierre « Mathias » Jaquier, luthier

Ho Xich Tué, informaticien, luthiste et violiste

John Wright, musicien et organologue

NOTES

[1] Mimmo Peruffo, « Why the load of gut for bass strings is the only hypothesis that fulfils the requirement of seven criteria arising from consideration of historical evidence »publié in FoMRHI Quaterly n° 143 pp 4-31, september 2018. Cet article se trouve aussi dans le magazine de la Société Néerlandaise de Luth : « The Lutezine n°126, july 2018 », pp 37-84.

[2] Edwin Hubble, « A Relation between Distance and Radial Velocity among Extra-Galactic Nebulae », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 15,‎ 1929, p. 168-173

[3] Toutes les citations entre crochets et en italique sont extraites de l’article de Mimmo Peruffo (MP)

[4] Introduction to the skill of music, John PLAYFORD. London 1664.


[5] L’Encyclopédie Méthodique : l’Art du faiseur d’instruments, Paris 1785.

[6] Lors de la table ronde organisée par la Société Néerlandaise de Luth (31 août 2018) à Utrecht sur la question des cordes anciennes de luth. Mimmo Péruffo ayant appris mon invitation à la dernière minute et ayant sans doute compris sa dissonance cognitive, c’est empressé de nous montrer une photo du tableau de Manetti grossièrement maquillée pour faire accroire que le brin sortant du chevalet avait le même diamètre que la corde et qu’il prétendit avoir lui-même prise lors d’un ses voyages à Dublin. Depuis je l’ai mis au défi de publier cette « pièce à conviction ». Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’avec le logiciel Photoshop on est parfaitement capable de remonter à toutes les retouches d’une image.

[7] Marin Mersenne, l’Harmonie Universelle, Paris 1636, livre second p. 99.

[8] Peut-être même dans sa cuisine après avoir fabriqué des saucisses avec les tripes de moutons ? À la réflexion, c’est un moyen simple d’alourdir l’intestin surtout si ces saucisses sont difficiles à digérer pour l’estomac…

[9] Thomas Mace, « Musick Monument, the Lute Made Easy », 1676, London.

[10] « La preuve du pudding, est en le mangeant… » ! Quelles sont les preuves indirectes de pudding ? Pain rassis, eau-de-vie, sucre, raisins secs comme preuves indirectes, ne font pas un pudding.

[11] La démarche générale qui préside aux expériences de pensée se formule par la question : que se passerait-il si… ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Expérience_de_pensée

`

[12] Qu’il serait trop long et fastidieux à décortiquer ici !

[13] Une fois encore ici M.P. remplace la notion d’évidence avec celle d’information quand cela l’arrange.

[14] Djilla Abott & Ephraïm Segermann, On twisting gut strings, Early Music, Vol. 4, No. 4 (October 1976).

[15] Henri Bouasse, « Cordes et membranes », Albert Blanchard éditeur, Paris (1927). Auteur particulièrement prolixe qui a laissé à la postérité plus de 45 volumes, traitant de mathématiques, de physiques, de mécaniques avec des centaines d’exemples puisés dans le fonctionnement des instruments de musique, et en particulier sur les cordes musicales.

[16] Robert Morris « Twist and Writhe near Max Turns in Rubber Motor », Free Flight Quarterly April 2011 ; https://www.hippocketaeronautics.com/downloads/Twist_and_Writhe-Morris_v2-2.pdf . Citation « I do remember noticing the rows upon rows of knots that formed during winding and dissolved during the power run ». Ce qui décrit parfaitement le processus.

[17] A. Ghatak & L. Mahadevan, Solenoids and Plectonemes in Stretched and Twisted Elastomeric Filaments, Physical Review Letters, vol. 95 ; 2005 (figure en dessous)

[18] brevets, FR 8303921 (10/3/1983) ; FR 8320763 (26/12/1983 ; EU 84400493(12/3/1984).

[19] Charles Besnainou, « Les cordes et leurs mystères », in Tablature, revue de la Société Française de Luth, Juillet 1987.

[20] Charles Besnainou, « La fabrication des cordes et en particulier comment répondre aux questions posées par les cordes anciennes », conférence, Corde Factum, Puurs, May 2008).

[21] John Downing, « Roped Gut Bass Strings », FoMRHI Quaterly, C-1318 Jan. 1995#77 and « More on Roped Strings and other Knotty Problems ». FoMRHI Quaterly, C-1318 April 1995#79

[22] Agostino Ramelli, « Le diverse et artificiose machine », Paris, 1588.

http://cnum.cnam.fr/SYN/fDY3.html

[23] Cette propriété d’élasticité phénoménale sera reprise au 18ème siècle pour « substitué ces cordes aux ressorts [métalliques] des chaises de poste & d’autres voitures, & elles y ont très-bien réussi » dont « M. le comte d’Herouville s’est particulièrement servi, soit à recueillir ce que les anciens tacticiens grecs & latins avoient écrit des catapultes, balistes, & autres machines de guerre auxquelles ils employoient les cordes de nerf » in Encyclopédie Diderot & d’Alembert, voir volumes III & IV, pp. 18 & 207-208, Paris (1752)

[24] Vitruve, « Les dix livres d’architecture de Vitruve », dans la traduction de Claude Perrault en 1673, éditeur Bibliothèque de l’image, préface de Antoine Picon, Paris 1999

 Citation de Vitruve : Pour ce qui est de la Musique, il doit être consommé afin qu’il sache la Proportion Canonique & Mathématique pour bander comme il faut les machines de guerre comme Balistes, Catapultes & Scorpion (trébuchet), dont la structure est telle, qu’ayant passé dans deux trous par lesquels on tend également les bras de la catapulte [plutôt une baliste], & dont l’un est à droite & l’autre à gauche des chapiteaux de ces machines, des câbles faits de cordes à boyau que l’on bande avec des vindas ou moulinets & des leviers ; l’on ne doit point arrêter ces câbles pour mettre la machine en état de décocher, que le maitre [de tir] ne les entende rendre un même son quand on les touche, parce que les bras que l’on arrête après avoir bandé, doivent frapper d’une égale force, ce qu’il ne feront point s’ils ne sont tendus également , & il serait impossible qu’ils poussent droit ce qu’ils doivent jeter.

[25] Il existe une riche iconographie qui supporte cette thèse, mais qui n’a pas sa place ici.

[26] La citation de Vitruve rapprochée du texte de Ramelli justifie pleinement l’hypothèse de John Downing (Catapult Cordage – PART 2, More Speculation, FoMRHI Quaterly # 81, Oct. 1995, Comm 1395, p.21) selon laquelle le mot « catline » ferait référence aux cordages de catapulte comme une contraction du mot « cat(apulte)line » et bien sûr le mot « catgut » a conservé de préfixe « cat » (peut-être pour la structure tortillée) et pour indiquer la matière, le boyau. Il est bien dommage que certains contradicteurs aient essayé de ridiculiser cette excellente idée, qui trouve aujourd’hui des éléments consistants ! voir : Ephraim Segerman, On Downing’s speculations on catgut in Comm 1751, FoMRHI Quaterly #106, January 2002, Comm 1791, p30.

[27] Château de Saint-Izaire et Musée de l’Archerie, 12480, Saint-Izaire, France.

https://www.saint-izaire.com/archerie/

Si on observe bien la corde, elle est formée de deux segments tortillés en sens inverse Lorsque l’on suspend un cordage avec une charge, il a tendance à se détordre. Le fait d’avoir les deux segments de la corde de l’arc tortillés en sens inverse signifie que lorsque l’archer bande son arc les deux segments vont de détordre en sens inverse, c’est-à-dire empêcher que la corde roule sous les doigts.

[28] Henri-Louis Duhamel du Monceau, L’art de la corderie perfectionné, seconde édition dans laquelle on a ajouté ce qui regarde les cordages goudronnés, Reproduction fac-similé de l’édition de 1769 :

https://ia800304.us.archive.org/17/items/bub_gb_gROUgnp92V4C.pdf

[29] Birbent, Résistance des fibres végétales filées ou commises, Annales de la faculté des sciences de Toulouse, 3ème série, tome 21 (1929), p. 43-137. Birebent était l’assistant du professeur Henri Bouasse [9]. http://www.numdam.org/article/AFST_1929_3_21__43_0.pdf

On a ici l’exemple même d’une transition de phase. Lorsque l’on injecte de l’énergie dans un système, celui-ci tend à revenir à sa position d’équilibre ; mais selon les conditions aux limites il peut basculer vers un autre état d’équilibre plus ou moins stable. La figure 26 montre les différentes bifurcations qui apparaissent lorsqu’un fils tendu selon une certaines force est soumis à une striction. L’exemple montre quatre états quasi stables.

[30] Je n’ai pas trouvé dans la littérature spécialisée anglaise la description d’un tel cordage, je conserve donc son nom en français en garochoir.

[31] Du néerlandais langslag (même sens) contrairement à kruisslag (sens opposé), anciennement commettage d’Albert, Wilhelm Albert (1787-1846) ingénieur allemand qui adapta ce concept aux les câbles de mines

[32] J’habite à quelques kilomètres de la Corderie Royale de Rochefort, et lorsque j’ai demandé au conservateur de ce musée de me montrer un garochoir, celui-ci en ignorait complètement l’existence. Comme quoi, l’oubli est le pire des purgatoires.

[33] Le besoin d’amarres élastiques étant toujours actuel, on trouve sur le marché ce type de système à ressort pour la navigation de plaisance. (Photo, www.bateaux.com)

[34] Philip Skippon (1641-1691), An Account of a Journey Made Thro’ Part of the Low-Countries, Germany, Italy, and France, London 1732.

[35] SOFRACOB, Société française de cordes en boyaux, ZI 38121 Reventin-Vaugris, France

[35] En musique, l’inharmonicité est le degré auquel les fréquences des composantes d’un son (également appelées partielles) s’écartent des multiples entiers de la fréquence fondamentale (séries harmoniques). Sur le plan acoustique, une note distincte contient en fait une multitude de notes supplémentaires qui contribuent à la perception d’une hauteur et d’un timbre.

[37] Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, édition du Seuil. 1966, Paris

[38] C. Valette & C. Cuesta, Mécanique de la corde musicale, Hermès éditeur, Paris 1993.

https://exofessubhe.firebaseapp.com/2866013638.pdf

[39] Marin Mersenne, l’Harmonie Universelle, Paris 1636, livre second p. 99.

[40] https://en.wikipedia.org/wiki/Young%27s_modulus

https://en.wikipedia.org/wiki/Flexural_modulus

Idéalement, le module de flexion est équivalent au module d’élasticité en traction (module de Young) ou d’élasticité en compression. En réalité, ces valeurs peuvent être différentes, notamment pour les polymères (par non linéarités) et pour les cordes texturées.

[41] Une analogie simple permet de comprendre cette notion d’élasticité sous tension : considérons une chaînette métallique, celle-ci est très souple non tendue et devient non élastique et non flexible lorsqu’elle est sous tension

[42] L’analyse spectrographique (sonagramme) des sons est une représentation temps/fréquence qui se lit comme une portée musicale. De plus cette représentation donne à voir la composition spectrale intime des sons simultanément à la hauteur. Voir, logiciel libre :

https://wavesurfer-js.org/

[43] Pour une poutre encastrée la flèche, f de déformation sous une charge P est donné par la formule f = PL3/3EI. (E module de Young et I moment d’inertie ; Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Formulaire_des_poutres_simples

[44] Pour un calcul simple, voir : http://www.formules-physique.com/categorie/306

[45] C. Valette & C. Cuesta, opus cité, pp 83-132

[46] L’absence des 12ème et 13ème partiels indique que la corde a été pincée exactement entre 5 cm (60/11) et 5,5 cm (60/12) du chevalet. Au point de pincement il y a nécessairement un ventre, donc sont éliminés tous les modes qui ont un nœud à cet endroit. On en déduit que le pincement a été effectué avec un plectre de 5 mm de large ; avec le gras d’un pouce le contact aurait été bien plus large (environ 20 mm ?) et l’absence de composantes aurait affecté plus de partiels…

[47] in Robert Dowland, A Varieties of Lute Lessons, London, 1610. John Dowland, « Other necessaryto set a small and a great string together…is left, as irregular to the role of Musicke. » p.14

[48] Pour clore définitivement la question des trous qui a hanté Peruffo Mimmo pendant des années, les figures suivantes devraient le rasséréner :

A gauche, la preuve qu’un « diplômé des universités » peut faire un trou de 2,5 mm de diamètre dans le chevalet de son luth pour y nouer une corde en boyau de 2,3 mm ; au milieu, la même corde de 2,3 mm dépiautée en deux brins (en 2,5 minutes) pour réaliser un nœud comme dans le tableau de R. Manetti ; à droite, toujours en boyau, une corde en garochoir de 3 mm de diamètre nouée au chevalet dans un trou de … 1,3 mm de diamètre. CQFD

Pour conclure : cette image en coupe de la section d’un chevalet nous indique –flèche rouge– que le surplomb l’on rencontre très souvent sur les instruments historiques peut servir à mieux bloquer l’autre brin préalablement brulé pour faire une petite boule antidérapente.

[49] « Hello Peruffo… Scientia sine humor, quam odiosis »